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Terra numquam cognita

Quand certains soulignent à quel point notre héritage gréco-latin est vivant de nos jours, même là où nous n’irions pas le chercher, d’autres insistent sur tout ce qui nous sépare de ce monde sur le plan de la culture, de l’organisation sociale, des valeurs.

Il n’est pas nécessaire de prendre parti dans ce débat. L’entreprise en est même un peu illusoire, tant il est difficile de quantifier ce qui nous rapproche ou nous éloigne des hommes de ces temps reculés. L’influence du grec et du latin sur notre langue existe, mais d’autres sources d’évolution viennent la concurrencer. Les institutions, la religion, la législation, et même les unités de mesure que nous utilisons ont souvent des origines fort anciennes, mais les références directes aux mondes antiques peuvent sembler ténues pour des pans entiers de ce qui constitue notre environnement contemporain.

Il est assez probable que notre époque soit avant tout préoccupée d’elle-même, et que parallèlement, elle entremêle, dans un jeu subtil et difficile à percevoir, un écheveau de fils anciens et nouveaux grâce auxquels elle peut envisager et questionner ce qu’elle est, ce qu’elle a été, et ce qu’elle deviendra. J’en veux pour preuve les œuvres littéraires et cinématographiques où interviennent des personnages antiques : sous les costumes et les décors d’époque, même reconstitués avec grand soin, il n’est pas rare d’y déceler des êtres pétris des valeurs de notre siècle, et quelque peu étrangers à celui dans lequel le public croit d’abord les voir évoluer.

Chaque époque va puiser dans l’histoire des exemples susceptibles d’illustrer des préoccupations qui tout d’abord sont les siennes. De même que l’histoire sociale, l’histoire économique, l’histoire des anonymes et du quotidien émergea vraiment dans les deux derniers siècles, de même notre époque peut trouver dans l’histoire ancienne un terrain propice à l’examen des multiples discriminations qui ont cours au sein de nos sociétés, de la cohabitation ou la confrontation de cultures distinctes, de la transmission des connaissances à une heure où les technologies numériques contribuent à redéfinir les moyens d’apprentissage …

Dans ces conditions, que certains territoires et certaines populations se revendiquent les héritiers d’une culture antérieure (qu’elle soit née sur leur sol ou se soit développée ailleurs) ; que d’autres en revanche ne se sentent pas liés à tout ou partie des cultures qui les ont précédés (serait-ce sur le même sol) : les raisons en sont généralement complexes. S’y confrontent à tout moment le legs historique et les circonstances modernes qui contribuent à le redéfinir, à le mettre en valeur ou à le rejetter. Étudier les rapports que nous entretenons avec notre passé nous amènerait bien plus loin que ne le peut ce billet…

Pour dire encore quelques mots qui s’appliquent à un cadre local et actuel, nous vivons en ce moment, dans notre région, l’atrophie progressive de l’enseignement des langues anciennes, sans lesquelles l’accès à l’Antiquité ne se fera plus que de seconde main. Les études antiques en général sont aussi menacées en bien des endroits. Que l’on considère les mondes italique, celtique, grec, mais aussi égyptien, micrasiatique, phénicien, mésopotamien et perse notamment, que l’on considère l’apprentissage des langues anciennes aux niveaux scolaire ou académique, l’étude de ces domaines souffre depuis des décennies d’une perte de légitimité, d’une perte d’intérêt, de la concurrence avec d’autres domaines, et de critiques profondes et parfois sévères.

L’occasion de ce blog est de présenter de manière personnelle et curieuse des éléments de ces cultures, de faire connaître un peu de la richesse immense qu’elles ont à apporter, bien au-delà du cercle restreint des spécialistes ou des antiquaires attardés dans notre monde moderne. L’Antiquité mérite d’être connue et de demeurer accessible au plus grand nombre, pour éviter d’être livrée en proie aux récupérations plus ou moins heureuses qui se font jour à toutes les époques, y compris à la nôtre !

Héritiers déclarés ou secrets, attachés à nos racines ou détachés d’elles, hôtes établis en ces terres lointaines (quoique jamais à demeure) ou visiteurs de passage, initiés, béotiens, passionnés, dédaigneux, nous gagnons tous à connaître notre passé et à tenter de nous confronter aux modes de pensée et d’expression de ceux qui ont peuplé l’étendue des terres émergées avant nous. L’exercice est parfois fastidieux, mais il ne tient qu’à nous de le rendre plus engageant et de tenter des incursions dans ces mondes proches et lointains, tantôt familiers ou exotiques, de s’y intéresser pour eux-mêmes mais aussi pour nous-mêmes. L’Antiquité est un terrain perpétuel d’interrogations et de découvertes, un terrain riche d’étonnements et de joies ! Si ce blog était comme une fenêtre sur ce monde, fenêtre modeste mais résolument ouverte, notre travail en serait amplement récompensé.

Auteur : Gygès
Publié le : 25 mai 2021. Dernière modification : 17 juin 2021