Le trône maudit : chef-d'œuvre ou malédiction ?
Critique de Le trône maudit, de J. L. Corral et A. Piñero, (traduit de l’espagnol par A.-.C. Grillot, 2014), Pocket, 2020
Le trône maudit est un récit romancé de l’histoire du royaume de Judée, de la mort d’Hérode le Grand en 4 av. J.-C. au début du règne d’Agrippa Ier. Le roman relate les différentes manigances auxquelles se livrent les descendants d’Hérode afin d’obtenir de l’Empire romain le pouvoir sur la région, et les mouvements du peuple juif, mené notamment par des prophètes juifs, qui se rebelle contre l’autorité romaine.
Annonçons-le d’emblée : le livre, alléchant par son quatrième de couverture et par son titre qui ont poussé à l’achat, ne tient pas ses promesses. Le fait qu’il ait fallu plus de six mois de lecture entrecoupée avec la seule motivation l’écriture de l’un des premiers articles de ce blog est un présage relativement mauvais de la qualité de l’ouvrage.
Pourtant, les auteurs ont de la bouteille. Ils sont tous deux professeurs aux universités de Saragosse et de Madrid et J. L. Corral a par ailleurs écrit de nombreux romans historiques.
Malgré cela, impossible de crocher à l’histoire, alors que tout était là pour un roman formidable. Le lecteur moyen connaît un petit peu le règne d’Auguste, il connaît mieux encore la vie de Jésus telle qu’elle est racontée dans le Nouveau Testament, mais il est moins familier avec l’histoire du royaume de Judée soumis à la puissance romaine et avec les intrigues juives parallèles à la grande histoire romaine. Il est donc tout à fait intéressant d’avoir un ouvrage destiné au grand public qui fasse découvrir des pans de l’histoire souvent laissés de côté.
Cependant, le lecteur, tout intéressé qu’il soit, bute sur plusieurs écueils, dont l’un d’eux est le suivant : Le trône maudit est rédigé à la manière des histoires antiques. J. L. Corral et A. Piñero relatent les événements d’une période comme des historiens antiques, en les couvrant de bout en bout, chronologiquement, avec peu de flash-backs.
Or, les histoires antiques ne sont pas de bons romans. On y découvre beaucoup de choses intéressantes, on peut admirer le style ou la rigueur de l’auteur, mais honnêtement, on trépigne rarement d’impatience à l’idée de lire la suite des événements touchant à la cité romaine ou des aventures d'un général grec.
De même, les romans modernes ne sont pas des sources historiques. Certes, ils initient le plus grand nombre à des périodes mal connues, mais ils n’ont pas pour vocation de relater fidèlement ce que la science historique a établi sur tel ou tel sujet. Le lecteur qui chercherait un bon roman ou une source historique ne trouverait son compte avec Le trône maudit dans aucun des deux cas.
Relevons que J. L. Corral et A. Piñero citent à la fin du livre les sources antiques qu’ils ont consultées pour l’écriture de leur ouvrage. Cela est appréciable de savoir qu’ils se sont renseignés pour leur rédaction, bien que cela me semble indispensable !
Le malaise ressenti à la lecture du trône maudit réside peut-être ici : le livre se situe à cheval entre deux genres, le roman moderne et l’histoire antique. Il aurait fallu déterminer plus clairement la catégorie visée, opter pour ce qui fait l’intérêt de l’un (rigueur scientifique et historique ou agrément de la narration) et gommer les défauts de l’autre (longueurs ou libertés prises quant à la réalité historique).
Non des moindres, deux autres éléments prétéritent particulièrement la lecture.
D’une part, d’un point de vue formel, il est impossible d’adhérer au principe du présent de narration pour un roman historique : cela ne fonctionne pas. Le récit en devient lourd et bancal. Est-ce là un substrat de la version originale espagnole, conservé par la traductrice ? (Le présent de narration est-il plus courant, voire plus acceptable, en espagnol ?)
D’autre part, la psychologie des personnages, qui se révèle à travers les dialogues, est très peu développée. Les protagonistes réfléchissent et interagissent de manière peu subtile, rudimentaire et caricaturale. Il est plaisant d’imaginer des conversations que des couples princiers pouvaient avoir, mais des grands hommes d’État prenaient-ils réellement des décisions pour faire plaisir à leur épouse, ou par crainte que celle-ci ne leur en veuillent ? De même, ceux-ci, habitués au commandement et à la fréquentation des plus grands, se mettaient-ils vraiment à trembler et à bégayer lorsqu’ils se retrouvaient devant Auguste ?
Au final, la persévérance qu’il m’a fallu pour parvenir à la fin de ce livre est révélatrice : on ne trouve pas dans Le trône maudit les éléments qui font un bon roman : une intrigue qui sous-tend l’ensemble du récit et des personnages crédibles, attachants et fascinants.