Les tribulations d’un Milésien en Australie…
Les récentes mésaventures de l’actuel numéro un de tennis ne sont pas sans rappeler celles du retors Histiée, qui n’hésita pas à feindre l’ignorance et à jouer avec les nerfs de la première puissance mondiale d’alors, la Perse …
Note de l'auteur : cet article constitue un clin d’œil amusé aux publications du blog Pour l’amour du grec.
– Chérieeeee ! Viens vite t’installer devant le plateau repas que je nous ai préparé ! Ce soir, à la TSR, ils diffusent l’Open d’Australie.
– Quel homme moderne tu fais ! Mais que vois-je ? Pizza surgelée, canettes de bière, et pour le dessert, le reste de frangipane de la semaine passée … quelles délices pour le fin palais que je suis ! Par contre, question modernité, tu sais qu’on dit RTS de nos jours, sous peine de passer pour un parfait ringard.
– Oui je sais bien, mais je résiste à ma manière aux dernières modes, en continuant d’employer des appellations vieillottes. Ça devrait te parler, toi qui tiens tant à ta bonne vieille antiquité.
– Tu ne crois pas si bien dire mon chou ! d’ailleurs tu sais que le tennis remonte à la plus haute antiquité, tout comme le football ?
– Pour une fois que tes Grecs peuvent nous mettre d’accord, j’éviterai de trop la ramener. Par contre, tu as vu qu’on annonce Novak Djokovic absent ? Il est resté bloqué dans son hôtel. Je crois bien que le virus a encore décidé de nous gâcher la fête, nom d’une pipe en bois !
– Ça me rappelle justement un passage d’Hérodote que j’ai lu avec mes étudiants au semestre d’automne.
– Tu ne veux vraiment pas attendre la fin de la coupure pub ? Tiens ! le fameux coup droit de Federer au service d’une grande banque du pays. Déjà qu’on ne le voit plus sur les courts…
– Comme je te le disais, Hérodote, dans son Enquête, relate une anecdote qui ressemble un peu à la mésaventure de ton porteur de raquette.
– Pas moyen de zapper avec toi, une fois que tu as commencé…
– La scène se passe en Asie Mineure, juste après la révolte qui avait secoué l’Ionie. Attends que je retombe sur la bonne page1 : « Ainsi périt Aristagoras, qui avait soulevé l’Ionie. Histiée, le tyran de Milet, qui avait quitté Darius avec sa permission, parvint à Sardes. Quand il arriva à Suse, le gouverneur de Sardes, Artaphrénès, lui demanda pour quelle raison, selon lui, les Ioniens s’étaient soulevés. Histiée déclara qu’il n’en savait rien, joua la surprise et prétendit tout ignorer des événements ; mais Artaphrénès qui savait la vraie cause de la révolte vit clair dans son jeu et lui dit : « Eh bien, Histiée, voici l’exacte vérité : Aristagoras a chaussé la sandale que tu avais confectionnée. »
– Ah ! je vois ! les braves gens d’Ionie, ce sont les antivax, et Histiée, qui feint l’ignorance et se pointe comme une fleur, c’est un peu leur Novax. D’ailleurs la sandale me fait bien penser aux sponsors d’aujourd’hui.
– Quelle perspicacité mon chou ! Tu es dans les petits papiers d’Athéna, ma parole !
– Mais je dois quand même t’avouer que pour Aristagoras, je sèche …
– Attends un peu ! La suite est plus claire : « Par ces mots, Artaphrénès entendait parler du soulèvement. Histiée se crut deviné, prit peur et, dès la tombée de la nuit, il s’enfuit vers la mer, trompant l’attente du roi Darius : car il lui avait promis de lui donner la plus grande île du monde, la Sardaigne, mais il allait se mettre à la tête des Ioniens en guerre contre Darius. Il passa dans l’île de Chios dont les habitants le jetèrent en prison, comme fauteur de troubles envoyé par Darius pour leur nuire. »
– Oh ! c’est frappant ! Histiée est au service, et Darius essuye son revers. Et la plus grande île du monde, c’est l’Australie, saperlotte !
– Écoute encore ceci : « Mais quand on sut qu’il était en vérité l’ennemi du Grand Roi, on le relâcha. Les Ioniens lui demandèrent alors les raisons qu’il avait eues de pousser si fortement Aristagoras à la révolte et d’attirer un tel malheur sur l’Ionie. Loin de leur révéler le véritable motif, il leur dit que le roi Darius avait résolu de déporter les Phéniciens en Ionie et les Ioniens en Phénicie, ce qui l’avait conduit à ordonner la révolte. »
– Comme quoi, les complôts actuels ou modernes se gonflent et se dégonflent à une vitesse grand V ! Et tel est pris qui croyait prendre. Fake news ! fake news ! J’espère que les Australiens sauront en prendre de la graine.
– Tu as raison mon chou ! d’ailleurs le spectacle commence. Je ne voudrais pas couper la parole à Pierre-Alain Dupuis.
– Ah non ma chérie ! cette fois c’est toi qui devrais te mettre à la page. Après plus de 30 ans à l’antenne, il vient de passer la main…2
2. https://www.lematin.ch/story/pierre-alain-dupuis-comme-en-amour-il-y-a-une-fin-810587770047 ↩